Par : Nicole Nepton

par Laurence Hamel-Roy, Katia Atif et Élise Dumont-Lagacé

Annoncé le printemps dernier, le projet de loi 51, Loi modernisant l’industrie de la construction (PL 51), a enfin été déposé par le ministre du Travail Jean Boulet le 1er février. L’augmentation de la polyvalence et de la mobilité des travailleurs et travailleuses de la construction à des fins de flexibilité et de productivité sont les sujets qui ont jusqu’à présent nourri les débats.

Soulevant aussi d’importantes questions, le PL 51 propose d’étendre les mesures qui avaient été adoptées pour favoriser l’accès des femmes à l’industrie aux «personnes représentantes de la diversité de la société québécoise» (les Autochtones, les personnes faisant partie d’une minorité visible ou ethnique, les personnes immigrantes ainsi que les personnes handicapées). Le PL 51 sanctionne ainsi un nouveau vocable en rupture avec les cadres législatifs existants en matière d’accès à l’égalité et de droits fondamentaux. Il étend aussi de façon «one size fits all», et sans diagnostic préalable, un ensemble de mesures qui n’ont toujours pas prouvé leur efficacité pour les travailleuses de la construction.

70% des femmes actives sur les chantiers aujourd’hui sont entrées dans l’industrie au cours des trois dernières années sous l’impulsion des mesures de rareté et de l’augmentation de l’offre d’emplois liée au plan de relance. À l’heure actuelle, elles ne représentent que 3,6% de la main-d’oeuvre de l’industrie.

La sous-représentation des femmes dans la construction est directement liée à leur taux de départ effarant, conséquent à la discrimination et au harcèlement qu’elles vivent sur les chantiers. L’absence de mesures visant à assurer leur maintien ー alors qu’un plan d’action sur la rétention avait été commandé par le ministre lui-même en 2021 ー témoigne de la fixation du gouvernement et de la Commission de la construction du Québec (CCQ) sur l’arrivée de nouveaux travailleurs. Depuis 2020, 84% des femmes nouvellement entrées ne détiennent d’ailleurs pas de diplôme d’études professionnelles (DEP), alors que les liens entre la formation professionnelle et la rétention sont largement documentés.

Il ne fait pas de doute que l’industrie de la construction est trop homogène. Les groupes ciblés par le gouvernement méritent cependant une analyse rigoureuse des difficultés particulières que rencontrent leurs «représentants de la diversité», plutôt qu’un copier-coller des mesures de façade mises en place pour les femmes. Ces dernières méritent pour leur part un plan de rétention concret, pensé à l’aune des défis qu’elles vivent sur les chantiers. La réforme proposée par le ministre du Travail Jean Boulet constitue une occasion ratée de consolider les fragiles acquis des femmes et de rendre le Programme d’accès à l’égalité pour les femmes dans l’industrie de la construction (PAEF) conforme à la Charte et à la Loi sur l’accès à l’égalité, en vue de son renouvellement en 2025.

On ne peut faire l’impasse du contexte de «pénurie de main-d’oeuvre» dans lequel intervient le PL 51 : pensons à l’entrée massive de travailleurs non diplômés, consécutive aux ouvertures de bassins, ou à l’arrivée croissante de travailleurs étrangers temporaires, réclamée par les associations patronales. Et, après des années de dévalorisation et de démantèlement de la formation professionnelle, au lancement en urgence de programmes courts et rémunérés pour s’assurer d’augmenter la part de travailleurs minimalement formés. Ces mesures, à l’image du PL 51, témoignent de l’appétit du gouvernement et du secteur patronal pour une main-d’oeuvre jetable.

Si le gouvernement a pour réelle ambition que les chantiers soient à l’image «de la diversité du Québec», il doit saisir l’occasion de soutenir l’accès et le maintien des groupes historiquement exclus de l’industrie par une véritable démarche d’accès à l’égalité. Il doit non seulement renforcer la sécurité d’emploi (et non la polyvalence et la mobilité), mais aussi mettre en place les moyens nécessaires pour valoriser la formation professionnelle, maintenir les travailleurs et travailleuses de même que leurs compétences et leurs expertises dans l’industrie. Il doit aussi combattre efficacement la discrimination sous toutes ses formes, y compris les risques de ressac.

À cet effet, l’assujettissement de l’industrie de la construction au Programme d’obligations contractuelles (POC) demeure l’une des voies structurantes qui permettraient d’assurer une vraie représentativité de la société québécoise sur les grands chantiers financés par l’État, et donc par l’ensemble des Québécoises et Québécois.

*Ont cosigné cette lettre : FTQ-Construction; Comité des travailleuses de la FTQ-Construction; Conseil provincial du Québec des métiers de la construction; Comité des femmes de métiers de l’Inter; Syndicat québécois de la construction (SQC); CSN-Construction; CSD Construction; Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ); Confédération des syndicats nationaux (CSN); Centrale des syndicats démocratiques (CSD); Comité d’actions féministes de la FTQ; Conseil des Montréalaises; Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI); Groupe des Treize (G13).

De même que les personnes suivantes : Cheolki Yoon, professeur adjoint, École de communication sociale, Université St-Paul et chercheur du Groupe interuniversitaire et interdisciplinaire de recherche sur l’emploi, la pauvreté et la protection sociale (GIREPS); Claudette Carbonneau, présidente de la CSN (2002-2011); Christiane Plamondon, étudiante à la maîtrise en gestion des personnes en milieu de travail cheminement EDI, Université du Québec à Rimouski, membre de l’équipe de recherche interdisciplinaire sur le travail Santé-Genre-Égalité (SAGE); Dalia Gesualdi-Fecteau, professeure de droit du travail, Département de sciences juridiques de l’UQAM et chercheuse de l’équipe SAGE; Diane Gagné, professeure titulaire en relations industrielles, Département de la gestion des ressources humaines, UQTR, chercheuse du GIREPS; Elsa Galerand, professeure, Département de sociologie, UQAM, chercheuse du GIREPS; Jessica Riel, professeure titulaire en santé au travail, École des sciences de la gestion, UQAM, responsable de l’équipe SAGE et membre du CINBIOSE; Jill Hanley, professeure, École de travail social, Université McGill; Karen Messing, officière, Ordre du Canada, professeure émérite d’ergonomie, Département des sciences biologiques, UQAM, membre du CINBIOSE; Lucio Castracani, chargé de projet, Institut universitaire SHERPA; Marie-Eve Major, professeure titulaire, Faculté des sciences de l’activité physique, Université Sherbrooke et chercheuse de l’équipe SAGE; Marie-Hélène Deshaies, professeure adjointe, École de travail social et de criminologie, Université Laval, chercheuse du GIREPS; Marie-Pierre Boucher, professeure, Département de relations industrielles, UQO, chercheuse du GIREPS; Martin Gallié, professeur de droit, Département des sciences juridiques, UQAM, chercheur du GIREPS; Martine D’Amours, professeure associée (retraitée), Département des relations industrielles, Université Laval, chercheuse du GIREPS; Mélanie Lefrançois, professeure en santé et sécurité du travail, École des sciences de la gestion, UQAM, chercheuse de l’équipe SAGE; Me Rachel Cox, professeure, Département des sciences juridiques, UQAM, chercheuse de l’équipe SAGE ; Rabih Jamil, coordinateur du groupe thématique sur le travail im/migrant, Institut universitaire SHERPA; Sid Ahmed Soussi, professeur, Département de sociologie, UQAM, chercheur du GIREPS; Valérie Lederer, professeure agrégée en santé et sécurité du travail et en méthodologie de la recherche, Département de relations industrielles, UQO, chercheuse de l’équipe SAGE; Yanick Noiseux, professeur agrégé, Département de sociologie, Université de Montréal, chercheur du GIREPS.

> Pour en savoir plus, consultez : Avis – Le projet de loi no 51 : des solutions mal avisées qui confondent les problématiques conjoncturelles et les inégalités systémiques rencontrées par les femmes (ATF, mars 2024).

Autres nouvelles intéressantes

Devenez membre

Devenez membre, ou renouvelez votre adhésion :

* si vous en avez financièrement la possibilité

Le paiement de la cotisation annuelle peut s'effectuer par virement Interac à l'adresse actionf@atfquebec.ca

Ou par chèque à l'adresse de l'organisme

**Un reçu vous sera attribué pour un don de 20 $ ou plus