Par : ATF

par Élise Dumont-Lagacé et Laurence Hamel-Roy, d’Action travail des femmes (ATF); avec la collaboration de Katia Atif

Cette lettre s’adresse au premier ministre du Québec, François Legault.

Depuis l’annonce de l’état d’urgence sanitaire, le 13 mars dernier, vous vous êtes prononcé à plusieurs reprises sur le déploiement de vastes projets de construction d’infrastructures pour la relance du Québec. Le 25 mai dernier, vous avez d’ailleurs réitéré votre volonté d’accélérer le déploiement de ces projets.

«C’est une question de priorisation. […] Je ne veux pas qu’il y ait un employé de la construction qui ne soit pas en train de travailler dans les prochains mois, puis pour les prochaines années. Parce que ça va être dur dans certains secteurs de recréer des emplois, mais des infrastructures, on en a en masse à faire.»

Intervenant à titre d’organisme de défense des droits des femmes au travail depuis de nombreuses années auprès de travailleuses de l’industrie de la construction, nous sommes particulièrement interpellées par ces affirmations.

Le Programme d’obligation contractuelle pour l’accès à l’égalité en emploi

L’industrie de la construction demeure le secteur d’emploi où les femmes sont les plus sous-représentées au Québec : elles ne représentaient, en 2019, que 2,13% de la main-d’œuvre dans les chantiers. «Dernières embauchées et premières slackées», elles ne travaillent, en moyenne, que 70% des heures travaillées par les hommes. Ce sont aussi plus de la moitié des travailleuses qui quittent l’industrie dans les cinq premières années, un taux deux fois plus élevé que pour les travailleurs masculins. Comme le reconnaît la Commission de la construction du Québec (CCQ), leurs départs sont d’abord liés au harcèlement et à la discrimination auxquels elles font face.

Contraindre les employeurs à embaucher les travailleuses qui sont non seulement disponibles, mais tout aussi compétentes et motivées que leurs confrères masculins vous permettrait d’agir de façon structurante sur ces obstacles tout en vous attaquant aux problèmes de pénurie de main-d’œuvre décriés par les entrepreneurs.

Malgré plus de 20 milliards investis annuellement dans la construction par l’octroi de contrats avec le secteur public, les entreprises de ce secteur sont en effet les seules à ne pas être assujetties au Programme d’obligation contractuelle pour l’accès à l’égalité en emploi (POC).

Instauré en 1987, le POC oblige les entreprises qui soumissionnent pour un contrat gouvernemental de biens ou de services de grande envergure à assurer une représentation équitable de groupes sous-représentés, dont les femmes, et à corriger les pratiques susceptibles d’être discriminatoires.

Les entreprises qui intègrent déjà des travailleuses de métier et d’occupation dans leurs équipes n’auraient aucune difficulté à remplir les exigences de diversification de la main-d’œuvre. Ce sont les grandes entreprises récalcitrantes et refusant la mixité qui seraient les principales visées. Les effets du POC pourraient alors faire boule de neige chez les employeurs de plus petite taille au fur et à mesure que se constitue une masse critique de femmes dans l’industrie.

La participation et l’inclusion des femmes dans l’industrie de la construction sont emblématiques des luttes toujours à mener pour atteindre l’égalité réelle entre les hommes et les femmes au Québec. Cette industrie est non seulement un secteur d’activité majeur où s’érigent les infrastructures de demain, comptant pour 13% du PIB national, mais elle constitue aussi le lieu où se déploient des passions dont témoignent les travailleuses que nous rencontrons régulièrement :

«La construction, ça peut être extrêmement valorisant. Tu fais quelque chose et tu vois ton résultat final. Tu te dis : «J’ai été impliquée dans ça. Torieux, regarde cet édifice : il est super incroyable, maudit que c’est beau! Tu fais partie du développement d’une société!»

Alors que les conditions de travail délétères des femmes dans les métiers de soins et de services ont – à juste titre – enfin fait l’objet d’importantes dénonciations, il apparaît urgent d’agir sur leur surreprésentation dans ces secteurs. Mettre un terme aux mécanismes qui contribuent à l’exclusion des femmes des secteurs historiquement dominés par les hommes permettrait d’agir en ce sens.

Monsieur le premier ministre, soutenir la volonté et le droit des femmes d’accéder aux emplois de la construction, de s’y maintenir et de s’y épanouir doit donc aussi faire partie des priorités de votre gouvernement.

L’assujettissement des travaux de construction au POC doit faire partie intégrante du plan de relance de votre gouvernement. Le contexte de pandémie vous offre une occasion sans égal pour agir sur l’égalité hommes-femmes au Québec de façon déterminante et durable.

Lettre publiée dans Lapresse.ca

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