Par : ATF

La rumeur s’intensifie voulant que le gouvernement du Québec dépose prochainement un projet de loi qui aura pour effet d’attaquer les fondements de la protection juridique des femmes non syndiquées victimes de harcèlement sexuel au travail. En effet, tout indique que le gouvernement du Québec veut inclure le harcèlement sexuel comme une simple « norme du travail ». Une telle intervention aurait pour effet de fragiliser les droits fondamentaux et les acquis des femmes.

En suggérant une telle approche, le gouvernement fait preuve d’une très mauvaise connaissance du régime de protection des droits fondamentaux et du régime de preuve qui y est associé.

Indivisibilité et interdépendance des droits fondamentaux

Cette modification porte atteinte au droit des femmes à l’égalité. Elle aura un impact dommageable sur les victimes, car il y aura une division des régimes, des recours entre les femmes et entre les autres groupes de personnes victimes de harcèlement discriminatoire dont la réalité sera totalement invisible. Cette modification aura aussi pour effet d’ignorer le harcèlement discriminatoire croisé et systémique.

De plus, l’intégration nouvelle dans la Loi sur les normes du travail (LNT) de la notion de harcèlement sexuel va multiplier, complexifier les recours et créer des clivages entre les salariées non-syndiquées et les autres, travailleuses autonomes, stagiaires, bénévoles, travailleuses non déclarées, travailleuses autonomes de l’industrie de la scène, du disque et du cinéma qui sont exclues de la LNT.

Déjà en 2015, dans un mémoire1 présenté lors de la Consultation sur le harcèlement sexuel, la CDPDJ s’inquiétait de cette nouvelle compétence de la CNESST, déduite du harcèlement psychologique. La CDPDJ affirmait « La Commission estime qu’il est nécessaire de définir le harcèlement sexuel comme une discrimination systémique envers les femmes. Les préjugés, attitudes et comportements sexistes qui caractérisent les situations de discrimination fondée sur le sexe, comme le harcèlement sexuel, doivent être compris comme des processus sociaux et historiques sexistes, mais aussi racistes ou homophobes et ne doivent pas être présentés comme des problématiques individuelles ou personnelles. L’atteinte de l’égalité réelle entre les hommes et les femmes qui est un des objectifs au cœur des actions du gouvernement en matière d’agression sexuelle nécessite de concevoir des traitements différenciés, aussi bien sur le plan individuel que structurel. »

D’ailleurs, la Commission des droits réitérait son inquiétude dans une lettre du mois d’octobre 2017 aux présents groupes : « […] à la suite de l’entrée en vigueur des dispositions sur le harcèlement psychologique dans la Loi sur les normes du travail, le harcèlement sexuel, mais également le harcèlement racial, homophobe ou envers les personnes en situation de handicap ont été subsumées dans la catégorie de violence psychologique au travail. »

L’URGENCE DU RENFORCEMENT DES MOYENS DE LA CDPDJ

Les restrictions budgétaires scandaleuses imposées à la Commission depuis plus d’une dizaine d’années malgré une augmentation accrue de 64% de dépôt de plaintes sont le principal obstacle des femmes et de l’ensemble des victimes de harcèlement discriminatoire à une protection efficiente. Plus grave encore, l’écart de financement entre la CDPDJ et la CNESST semble satisfaire le gouvernement dans la mesure où la proposition de loi donnerait compétence à la CNESST en matière de harcèlement sexuel plaçant ces deux instances inégalement financées en concurrence, sans reconnaissance aucune de la préséance des compétences de la CDPDJ et du caractère quasi constitutionnel de la Charte.

À lui seul, le volet sur les normes du travail de la CNESST a un budget annuel d’environ 85 millions, montant six fois supérieur au budget annuel de la Commission des droits. La CDPDJ avec un financement annuel moyen de 14 millions a le mandat assumer la promotion, le respect et l’application des droits énoncés à la :
• Charte des droits et libertés de la personne (C-12)
• Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ)
• Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA)
• Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics (A-2.01).

Les organisations signataires accueillent de façon très défavorable la proposition de la ministre du Travail d’intégrer le harcèlement sexuel à la loi sur les normes du travail et demandent au gouvernement de ne pas affaiblir le recours prévu dans la Charte québécoise en matière de harcèlement sexuel, mais plutôt de renforcer le recours existant auprès de la CDPDJ et du Tribunal des droits de la personne.

Nous demandons des actions concrètes pour contrer le harcèlement discriminatoire en emploi :

  • Que la CDPDJ soit financée à la hauteur de ses responsabilités, et qu’elle assume dès maintenant le rôle d’autorité qui lui revient en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et discriminatoire au travail;
  • Que la CDPDJ accueille les plaintes de harcèlement discriminatoire au travail et cesse systématiquement de les référer vers la CNESST et ce, pour que les victimes aient un réel choix de recours;
  • Que des ressources soient injectées afin que la CDPDJ ainsi que les partenaires communautaires et des ressources spécialisées, à des fins de formation et de sensibilisation du personnel de la CNESST et des décideurs du Tribunal administratif du travail (TAT) aux enjeux du droit à l’égalité qui traverse le droit du travail et plus particulièrement en matière de harcèlement sexuel et discriminatoire au travail;
  • Que la CNESST fasse une reddition de comptes à la CDPDJ en matière de données statistiques du traitement du harcèlement discriminatoire en médiation, sur les règlements à l’amiable et d’autres aspects des enquêtes, des plaintes et des réclamations impliquant le harcèlement pour un motif interdit par la Charte, et ce, pour s’assurer notamment que le harcèlement sexuel et discriminatoire au travail soit nommé et traité en tant que tel.

 

Signataires :
Action Autonomie
Action travail des femmes
Centre de recherche-action sur les relations raciales
Collectif des Femmes Immigrantes Qualifiées et Compétentes
L’R des centres de femme du Québec
Pour le droit des femmes du Québec
Réseau des Tables régionales de groupes de femmes du Québec
Volet femmes – Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI)
Réseau d’action pour l’égalité des Femmes immigrées et racisées du Québec (RAFIQ)

[1] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Commentaires relatifs à la consultation portant sur le rapport de mise en œuvre du Plan d’action gouvernemental en matière d’agression sexuelle, Aurélie Lebrun, Ariane Roy LeFrançois, Me Karina Montminy et Me Sophie Papillon (Cat. 2.115.56), 2015, [En ligne].

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