Par : ATF

par Rachel Cox, Action travail des femmes

Résumé d’une recherche réalisé en 1999 pour le Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne

Ce texte relate la chronologie des événements de la cause Action travail des femmes c. La compagnie de chemin de fer Canadien National (CN). Cette cause a mené, pour la première fois au Canada, à l’imposition d’un programme d’accès à l’égalité par le Tribunal canadien des droits de la personne en 1984, décision qui fût entérinée par la Cour suprême en 1987. L’étude décrit le sort de l’ordonnance depuis son entrée en vigueur en 1988 jusqu’à aujourd’hui. Il souligne les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) qui font qu’aujourd’hui, la même ordonnance ne pourra plus être rendue. À partir des difficultés rencontrées lors de l’application de l’ordonnance rendue à l’égard du CN, le texte élabore différents modèles pour la surveillance, la révision et la sanction en cas de non-respect du programme d’accès à l’égalité imposé par un Tribunal.

Chronologie des événements

En 1984, cinq ans après le dépôt d’une plainte de discrimination systémique à l’égard des femmes par Action travail des femmes, le Tribunal canadien des droits de la personne a rendu une ordonnance imposant l’implantation d’un programme d’accès à l’égalité au Canadien National incluant un objectif d’embauche d’une femme pour chaque quatre postes de col bleu à être comblés.

Devant le Tribunal, Action travail des femmes a toujours fait des représentations distinctes de celles de la Commission. Sans les pressions constantes d’Action travail des femmes, cet important précédent n’aurait jamais été créé. La Commission canadienne des droits de la personne ne voulait pas procéder devant le Tribunal des droits de la personne et aurait préféré régler à l’amiable avec le CN pour des mesures beaucoup plus floues que celles imposées par le Tribunal.

Le CN a porté en appel la décision du Tribunal canadien des droits de la personne. La Cour fédérale d’appel a maintenu l’ordonnance du Tribunal sauf pour l’objectif d’embauche d’une femme pour chaque quatre postes de col bleu à être comblés.

En 1987, la Cour suprême du Canada a rétabli intégralement l’ordonnance du Tribunal des droits de la personne, affirmant ainsi l’importance d’un objectif d’embauche pour remédier à la discrimination systémique en emploi.

Le sort de l’ordonnance

Selon l’étude, depuis quelques années, le CN ne respecte plus plusieurs aspects importants de l’ordonnance rendue par le Tribunal des droits de la personne et entérinée par la Cour suprême.

En effet, l’ordonnance vise « la région Saint-Laurent » du CN. Toutefois, depuis l’audience de la plainte, la compagnie CN a subi plusieurs réorganisations. La région Saint-Laurent n’existe plus en tant que telle et le CN en profite pour tenter de réduire la portée de l’ordonnance.

Le Tribunal a ordonné au CN de poursuivre des mesures visant à éliminer du lieu de travail toute forme de harcèlement sexuel. Cependant, selon l’étude, aujourd’hui, le climat de travail sur la voie ferrée est souvent empoisonné par le harcèlement à l’égard des femmes cols bleus.

L’ordonnance comprend un objectif d’embauche d’une femme pour quatre postes non traditionnels à être comblés. Le texte relate que le CN tente d’éviter l’application de ce volet de l’ordonnance. En effet, en comblant de nouveaux postes par des employés mis à pied, le CN prétend qu’il s’agit de rappels au travail et non pas d’embauche au sens de l’ordonnance et donc, qu’il n’est pas obligé d’embaucher une femme pour quatre postes non traditionnels à être comblés.

Le dernier volet de l’ordonnance porte sur la production de données sous forme de rapports trimestriels que le CN devait envoyer à la Commission ainsi qu’à ATF. Le texte illustre comment le CN ne respecte plus ce volet de l’ordonnance, car depuis plusieurs années, les rapports ne sont envoyés que de façon sporadique et les données qu’ils contiennent sont manifestement inexactes et incomplètes. Le texte souligne que sans les rapports trimestriels, il devient impossible de déterminer avec certitude à quel point le CN respecte les autres volets de l’ordonnance.

Finalement, le texte note qu’Action travail des femmes a sollicité l’intervention de la Commission pour assurer le respect de l’ordonnance mais n’a pas obtenu de résultats.

Des reculs législatifs en matière de remède à la discrimination systémique

Dans le cas d’un employeur visé par la Loi sur l’équité en matière d’emploi, l’article 54.1 de la LCDP empêche un tribunal qui juge fondée une plainte de discrimination systémique de rendre le type d’ordonnance imposée par le Tribunal des droits de la personne à l’égard du CN. Selon le texte, l’intention du législateur était sans doute que la sous-représentation des groupes désignés chez les employeurs régis par la Loi sur l’équité en matière d’emploi devait être traitée exclusivement à l’intérieur de cette Loi. Toutefois, le texte souligne que le fait de considérer la discrimination systémique chez les employeurs les plus importants uniquement dans le contexte de la Loi sur l’équité en matière d’emploi est problématique.

Notamment, le texte s’arrête au fait qu’aux termes de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, un plan d’équité en matière d’emploi ne comporte pas nécessairement un taux de nomination des groupes sous-représentés à respecter, soit un aspect essentiel du remède à la discrimination systémique approuvé par la Cour suprême dans la cause qui opposait Action travail des femmes au CN. De plus, dans un tel plan, la disponibilité des groupes sous-représentés à l’extérieur de l’entreprise, les qualifications réelles des postes et la validité des tests de sélection sont définies par l’employeur seul sans possibilité de contestation. Les dispositions des conventions collectives et les pratiques des employeurs concernant les droits d’ancienneté à l’égard des licenciements et des rappels sont réputées ne pas constituer des pratiques discriminatoires. Peu importe leurs pratiques discriminatoires passées, les employeurs ne sont pas contraints à aucune obligation de résultat. Finalement, toute participation des groupes représentant les personnes discriminées est écartée, même si historiquement, de tels groupes ont joué un rôle vital dans la réalisation de l’équité en matière d’emploi au Canada.

Également, aujourd’hui, selon le paragraphe 40.1(2) de la LCDP, la Commission n’a pas compétence pour traiter une plainte de discrimination en emploi fondée uniquement sur la base de données statistiques établissant la sous-représentation des groupes historiquement discriminés dans l’effectif de l’employeur. Le texte situe cette restriction dans le contexte nord-américain où, à cause du potentiel des données statistiques à titre de mesure objective et fiable de la discrimination en emploi, celles-ci occupent une place sans cesse grandissante dans le dépistage et dans la preuve de la discrimination systémique. Le texte conclut que le paragraphe 40.1(2) devrait être abrogé de la LCDP.

Le suivi des programmes d’accès à l’égalité imposé par un Tribunal

À partir des difficultés à faire appliquer l’ordonnance du Tribunal des droits de la personne à l’égard du CN, le texte affirme qu’une ordonnance visant à remédier à la discrimination systémique doit pouvoir conserver son efficacité même si des faits nouveaux surviennent, et ce, plus particulièrement s’il y a des transformations corporatives ou des changements structurels chez le mis en cause.

Citant la multitude de changements corporatifs et administratifs survenus au CN depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance en 1988, le texte conclut qu’il est important que la législation fédérale prévoie la possibilité pour l’une ou l’autre des parties de retourner devant le Tribunal pour faire réviser ou préciser l’application de l’ordonnance. De plus, le texte souligne que des dispositions prévoyant que l’ordonnance lie les employeurs successeurs ainsi que les sous-traitants du mis en cause constituent des éléments essentiels qui permettent de s’assurer que l’énergie investie dans le processus de traitement et d’audition des plaintes n’est pas perdue.

Le texte aborde la question de la responsabilité de surveiller l’application de l’ordonnance imposant l’implantation d’un programme d’accès à l’égalité. Il note qu’un modèle dans lequel la Commission des droits de la personne et la partie plaignante ont chacune la responsabilité de surveiller l’implantation du programme a l’avantage de combiner les ressources de la Commission en tant qu’organisme public et l’intérêt et l’expertise spécifiques de la partie plaignante. Finalement, si le mis en cause ne respecte pas l’ordonnance, le texte conclut qu’il faut un recours accessible et efficace pour forcer celui-ci à le faire. L’étude explique que selon un modèle, le fait de pas respecter l’ordonnance d’implanter un programme d’accès à l’égalité rend le mis en cause coupable d’outrage au tribunal. L’outrage au tribunal est une procédure pénale. Les désavantages principaux de ce recours sont son lourd fardeau de preuve et des moyens de défense larges pour l’accusé. Son avantage principal est la nature récurrente des pénalités. Selon un autre modèle, la loi prévoit des amendes en cas de non-respect de l’ordonnance. L’imposition de pénalités financières peut représenter un moyen de répression très efficace à l’égard d’entreprises. Par contre, si les pénalités ne représentent pas des montants significatifs, il n’aurait aucun effet de prévention sur la conduite des employeurs.

Un troisième modèle fait appel à des dommages d’inexécution. Dans ce contexte, des pénalités financières dans la forme de l’octroi de dommages d’inexécution peuvent être octroyées suite à une preuve du non-respect de l’ordonnance selon la balance des probabilités. Le texte conclut qu’il est essentiel de prévoir un recours de nature administrative devant le Tribunal des droits de la personne en cas de non-respect d’une ordonnance imposant l’implantation d’un programme d’accès à l’égalité.

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